En 1975, L’OMS élabore la notion de santé sexuelle, dans une période, après mai 68, qui n’est pas anodine puisque de nombreux historiens s’accordent à la considérer comme celle d’une révolution historique en matière de sexualité.
« Faire l’amour, pas la guerre », « jouir sans entrave », « libérer le désir » sont des slogans qui s’affichent désormais sur les murs comme dans les productions intellectuelles. La littérature s’érotise, le cinéma exhibe, les émissions de radio et de télévision débattent de pratiques sexuelles. Les moeurs se libèrent, scindant procréation et sexualité, autorisant la contraception, transformant les normes de la vie maritale (divorce, cohabitation prénuptiale, naissance hors mariage). Selon Muchembled, il se développe « un modèle hédoniste, européen et californien ». Dans un « grand effort de redéfinition des sensualités issu de l’autonomie érotique croissante des femmes et de la reconnaissance des homosexuels, il se distingue spectaculairement des puritanismes anciens et actuels » (Muchembled 2005). C’est une étape dans l’émergence d’une considération cardinale de la sexualité, mais aussi d’une conception médicalisée des difficultés sexuelles.
Les décennies qui suivent sont plus ambiguës. Nous assistons à la fois à une normalisation institutionnelle et culturelle (vote du PACS en 1999, vote du « mariage pour tous » en 2013, évolution des mentalités, diversification des pratiques sexuelles, reconnaissance du viol dans la sphère intra-conjugual). Mais nous assistons également aux renforcements de clivages sociétaux (à l’exemple des manifestations pro et anti « mariage pour tous » et de la PMA…), aux développements de mouvements néo-conservateurs, essentialistes ou encore masculinistes, aux retours de la censure (par un phénomène d’auto-censure « bien pensant » dans les médias notamment), et à la mise en place de législations sur la protection des moeurs (pénalisation de la prostitution, mise en place et durcissement successif de la signalétique jeunesse sur les films et les émissions TV).
Un double phénomène paradoxale est à l’oeuvre : une libéralisation des pratiques, des choix et des trajectoires intimes des individus, et en même temps la production de nouvelles normes et règles pour protéger et encadrer.
De plus, certains auteurs suggèrent un caractère illusoire à cette émancipation des moeurs. Pour Michel Brix, en pensant se libérer, les femmes se serrait encore davantage soumises au désirs des hommes. Un nouveau « servage » qui passe par les pratiques vestimentaires, cosmétiques, diététiques, et même chirurgicales. Il envisage même que « l’européenne décolletée n’est pas plus émancipée que la musulmane voilée » car il est toujours question de se plier aux attentes des hommes.
Quoiqu’il en soit, dans ce monde qui fait de l’émancipation un imaginaire culturelle et une injonction quasi normative, les difficultés, en matière de sexualité apparaissent tenaces, même si leur nature a certainement évolué.
Les entraves à une santé et une qualité de vie sexuelle sont nombreuses. De nombreux termes sont employés pour les nommer : interdits, tabous, blocages, altérations. A quoi font référence ces notions?
Un interdit désigne une « contrainte imposée par une autorité, un groupe social, ou que l’individu s’impose à lui-même ». C’est-à-dire une prohibition de certains actes ou de certains usages. Le tabou est plus spécifiquement un « interdit d’ordre culturel et/ou religieux qui pèse sur le comportement, le langage, les mœurs », et peut concerner un lieu, un objet ou un acte. L’enfreindre est de l’ordre du sacrilège ou de l’immoralité, et pourrait exposer à des actions lourdes de la part des hommes (rejet, exclusion, mépris) ou des dieux. Le tabou de l’inceste est quasiment universel à toutes les sociétés.
Le blocage renvoie plutôt à un « refus ou une incapacité de poursuivre un apprentissage, de s’adapter à une situation » notamment de surmonter ces difficultés, tandis que l’altération désigne la « modification ou dégradation de l’état initial et normal, ou de la qualité d’une chose, ou d’un aspect humain ». Ces mots relèvent donc de dynamiques différentes. Contraintes extérieures, difficultés d’adaptations, dégradation d’un état… Ici se révèlent déjà un certain nombre de contraintes qui peuvent se poser à l’homme concernant sa sexualité.
Freud considérait le tabou comme une forme de prohibition de comportements qui pourraient entrer en conflit avec les règles morales régissant les sociétés. Sa fonction serait de faire barrière aux poussées pulsionnelles. Mais dans le langage courant, ce terme fait maintenant plutôt référence à des opinions d’une personne ou d’un groupe. Ainsi si les tabous et les interdits sont édictés par l’environnement et éventuellement intériorisés, les blocages et les altérations seraient plutôt d’abord des mécanismes psychiques internes, auxquels l’environnement pourrait largement contribuer. Le dedans et le dehors, l’intime et le conventionnel apparaissent d’une très grande porosité.
Bien que des problèmes de santé (pression artérielle, problème hormonal, diabète, Infection sexuellement transmissible, prise de médicaments…) peuvent y concourir, la peur et l’anxiété sont des phénomènes décisifs : la crainte de ne pas inspirer de désir, d’avoir des pannes, de ne pas savoir bien faire, ou même globalement la peur de l’acte sexuelle si l’expérience ou le vécu a été associé à de la menace, de l’agressivité ou de la souffrance. Il s’agit d’autant de sources d’anxiété et d’empêchement.